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Interview de Corbeyran & Guérineau (LaBD - 2002)

A l'occasion de la sortie du sixième tome du Chant des Stryges chez Delcourt, Eric Corbeyran et Richard Guérineau nous entraînent, à un rythme trépidant, aux côtés de Lovecraft...

Seriez-vous d’accord pour dire que Le Chant des stryges est une sorte de X-Files lovecraftien ?

Eric Corbeyran : Il est certain que nous partageons un certain nombre de préoccupations avec d’autres auteurs... Nous ne venons pas de nulle part : Lovecraft est évidemment écrivain dont l’imaginaire m’a profondément marqué. Les stryges viennent de Chtulu...

Dans le dernier épisode, vous reprenez un peu les théories de Louis Pauwels et Jacques Bergier avaient exposé dans Le Matin des magiciens concernant les vérités essentielles sur le monde que véhiculent la culture des sociétés disparues, des Aztèques aux Egyptiens...

Eric Corbeyran : Je n’ai pas lu Le Matin des magiciens... On me l’a pourtant souvent recommandé. Réinventer une mythologie revient à s’approprier une explication du monde. Fabriquer une réalité alternative, c’est adopter un point de vue capable de balayer de nombreuses interrogations... Les stryges nous permettent d’aborder toutes les déviances des sociétés contemporaines. Rien n’est évidemment gratuit, même si nous nous faisons fort de rester dans le domaine du divertissement.

Vous allez jusqu’à suggérer une hypothèse sur l’origine du sida...

Richard Guérineau : Nous nous permettons certaines interprétations de faits complexes qui ont lieu dans notre réalité et que nous transcrivons d’une manière plus simple dans l’univers des Stryges... Cela nous permet d’aller vite et de faire réfléchir sur l’industrie pharmaceutique. Le genre fantastique a toujours su donner une interprétation de notre réalité à travers des symboles et des métaphores.

La théorie du complot que vous semblez développer est-elle conforme à votre vision du monde ?

Eric Corbeyran : Il va falloir laisser la série rebondir dans un second cycle. Les stryges sont pour le moment perçues comme des personnages extrêmement négatifs, qu’il faut combattre. Mais la suite de la série va nuancer tout cela. Nous avons semé un certain nombre d’indices dans le « Cycle du complot » qui permettront de renverser un peu les choses...

Connaissez-vous déjà la grande structure de cette saga ?

Eric Corbeyran : Bien sûr. La mythologie des stryges est en perpétuelle mutation, elle se nourrit en permanence de nos nouvelles idées. C’est notre matière...

Richard Guérineau, intervenez-vous dans les grandes orientations du scénario ?

Richard Guérineau : Le travail de construction du rythme de l’histoire est la partie exclusive d’Eric : je n’y participe absolument pas. En revanche, nous discutons énormément en amont, avant qu’Eric ne commence à écrire. Nous balançons ensemble des idées en vrac et Eric remet tout ça en ordre.
Eric Corbeyran : C’est une création à deux : Richard participe au même titre que moi sur la mythologie des stryges.

On peut reconnaître un certain nombre d’acteurs dans la physionomie de vos personnages...

Richard Guérineau : C’est vrai : j’ai dessiné John Travolta, Samuel L. Jackson, Woody Allen, James Woods et Peter Cushing... Je ratisse très large. Il y a même des références à Docteur Mabuse. Cherchez bien...

Les couleurs de vos albums sont plus électriques qu’au début... Pourquoi ?

Richard Guérineau : Au départ, c’était indépendant de notre volonté, puisque la coloriste qui travaillait avec nous au début a décidé de ne plus mettre en couleurs de bande dessinée. Mais nous avions envie de passer à une mise en couleurs informatique pour donner un aspect plus clinquant et lumineux à nos couleurs. Dans ce genre de séries, les couleurs traditionnelles risquent, à court terme, de prendre un coup de vieux...

Vos planches sont bien plus remplies de cases que la plupart de vos confrères... Surtout, vos cadrages et votre sens du découpage sont particulièrement appropriés aux scènes d’action. Comment travaillez-vous la « mise en scène » ?

Eric Corbeyran : Je suis content qu’on en parle.
Richard Guérineau : On dit parfois que mes cadrages sont cinématographiques et que mes séquences se rapprochent parfois du manga, en raison de l’hyperdécoupage de certaines actions. Je travaille intuitivement. En me relisant, je me rends compte que j’ai posé quelques codes pour montrer l’action. J’ai piqué à droite et à gauche quelques idées et cela m’aide pour construire mes mécanismes de narration. Je tends vers l’efficacité. Faire un « moule à gaufres » impose un rythme de lecture régulier et rapide. Briser ce moule à gaufres avec des variations du format des images permet de casser le rythme : cela convient parfaitement à des histoires à l’action mouvementée.
Eric Corbeyran : Le découpage trépident de Richard était une chose nouvelle en 1997, dans le paysage de la BD d’action. Tout le monde avait été décoiffé par le premier album.
Richard Guérineau : Ce n’est pas tant le dessin qui se prête à l’action que les cadrages, l’enchaînement des plans, etc.

L’univers des stryges trouve des prolongements à travers deux séries parallèles : Le Clan des Chimères et Le Maître de jeu, toujours chez Delcourt... Cette idée vous est-elle venue en pensant aux comics ?

Eric Corbeyran : Non, c’est plutôt un fantasme lovecraftien... Les deux séries parallèles ont été proposées dès la signature du contrat du premier album du Chant des stryges. Le succès de cette série n’est donc pas à l’origine des développements parallèles ! D’ailleurs, il n’est pas nécessaire de lire une série pour comprendre l’autre. Nous jetons des passerelles, mais il n’y aura pas de crossover, pour reprendre un terme cher aux comics...

Interview réalisée par LaBD (2002)
Propos recueillis par Benoît Mouchart.