Interview de Corbeyran (Bodoi)
Eric Corbeyran, l'homme aux 200 albums
C'est un hyperactif du clavier, embarqué dans tous les genres possibles, chez "presque" tous les éditeurs de bandes dessinées. Eric Corbeyran, 46 ans, vient de sortir le premier volume de la saison 3 du Chant des Stryges : son... 200e album, pas moins ! Dans sa foisonnante bibliographie, on trouve du bon (Metronom', Double Gauche, XIII Mystery : Irina, Une balle dans la tête...) et du beaucoup moins bon (7 jours pour une éternité, Le Souffle du vent, La Métamorphose...). De quoi donner envie d'interroger le scénariste sur sa façon de choisir ses sujets, et de travailler.
Pourquoi démarrer une nouvelle saison des Stryges ?
Corbeyran : Le rythme de lecture me semble meilleur lorsqu'une saga de très longue haleine comme les Stryges propose des « fins » intermédiaires. Malgré l'abondance de révélations à la fin de la deuxième saison, beaucoup de questions restaient sans réponse... Les voila qui arrivent!
Quelle orientation souhaitez-vous donner à cette saga ?
Corbeyran : Le Chant des Stryges est à la fois une série d'action et une série fantastique. Ça explose, ça flingue et ça cavale dans tous les sens. Mais, comme dans toute série fantastique qui se respecte, le fond du récit explore un questionnement flirtant avec la métaphysique : d'où vient-on? Pourquoi sommes-nous là? Sommes-nous seuls? L'univers a-t-il un créateur? Cette troisième saison sera essentiellement axée sur le rôle prépondérant joué par les hybrides dans le destin des Stryges et, par conséquent, dans celui de l'humanité.
Pourquoi est-t-elle la dernière? Vous lassez-vous de l'aventure ?
Corbeyran : Non, pas du tout, mais toute entreprise doit avoir un terme. Y mettre fin est frustrant, mais nécessaire.
Cet album est le 200e que vous scénarisez. Quel regard portez-vous sur les 199 précédents ?
Corbeyran : Comme disait Brassens: « Ce que j'ai fait, je m'en fous. » En observant ce précepte, je ne donne jamais dans les regrets ou la nostalgie, je ne regarde jamais en arrière et je ne bassine pas mes collaborateurs ni mon entourage avec mon « oeuvre ». Je laisse aux autres le soin de juger de ce qui est bon et de ce qui est mauvais, de ce qui est cohérent et de ce qui ne l'est pas. Moi, je préfère avancer. Ce sont les rencontres qui m'attendent et les projets de demain qui me stimulent. Bien plus que mes 200 premières BD, c'est l'enthousiasme qui continue à me porter.
Comment parvenez-vous à être aussi productif ?
Corbeyran : La recette est peut-être plus simple qu'elle n'en a l'air: j'aime la bande dessinée - je l'adore, même ! -, j'ai la chance d'écrire vite et je travaille beaucoup.
De quelle façon travaillez-vous ?
Corbeyran : J'essaie de me concentrer sur un sujet à la fois. ce qui n'empêche pas les idées d'arriver pour d'autres projets en cours (impossible d'empêcher une idée de vous traverser). Mais d'une manière générale, lorsque je commence un scénario, je ne le lâche qu'une fois terminé.
Comment sélectionnez-vous vos projets ?
Corbeyran : Lorsque je feuillette le book d'un jeune dessinateur, il doit se produire un truc, une étincelle, tandis que j'arpente son univers visuel. Ce que je vois doit me stimuler, me donner envie de raconter une histoire qui aura cette forme-là, cette originalité-là, ce ton-là. En définitive, c'est un mécanisme assez primaire. La même chose se produit avec des dessinateurs plus expérimentés, dont je connais déjà le boulot. Par exemple, lorsque j'ai rencontré Philippe Luguy [avec lequel il collabore sur La Mare aux nymphes] il y a quelques années, j'étais déjà un fan absolu de son dessin et son style. L'étincelle avait déjà eu lieu. Je lui ai proposé une histoire et ai été fou de bonheur lorsqu'il m'a dit qu'il acceptait de la dessiner.
Que vous interdisez-vous en bande dessinée ?
Corbeyran : Je n'ai pas encore pris le temps de me poser la question. Peut-être la réponse émergera-t-elle d'elle-même le jour où j'aurai décidé d'arrêter d'écrire et que je me dirai : ah tiens, je n'ai jamais écrit tel ou tel truc!
Vous avez adapté un roman de Marc Lévy, et bientôt un de Bernard Werber, Les Thanatonautes. Pourquoi?
Corbeyran : Ce n'est aucunement un travail de commande. Ma rencontre avec Marc Lévy s'est faite en dehors des sentiers de la BD. Nous sommes devenus amis, et cela et a débouché sur une collaboration. C'est un peu différent avec Werber, parce que la rencontre a été organisée par l'éditeur Drugstore. Mais si le plaisir avait été absent et si aucun déclic ne s'était produit pendant notre entrevue, ni lui ni moi n'aurions donné suite au projet. Travailler sur une adaptation de roman est très courant au cinéma où, chaque semaine, un best-seller littéraire se retrouve en haut de l'affiche. Pourquoi la démarche serait-elle différente en BD? Je considère que c'est très naturel : il faut que les genres se nourrissent les uns des autres, le métissage produit toujours de belles choses.
Avez-vous le sentiment que votre écriture est influencée par les séries télé américaines ?
Corbeyran : Oui, forcément, car j'en suis amateur depuis toujours. Le fait que je préfère me lancer sur une série plutôt que sur un one-shot (plutôt comparable à un long-métrage) en est une illustration. J'aime la manière dont sont rythmés les épisodes, le coté addictif des séries cultes, la liberté de création dont jouissent les scénaristes américains, qui repoussent toujours plus loin les limites de notre imaginaire. Je suis très influencé par l'énergie qui se dégage d'une bonne série télé. Cela me donne des ailes, me pousse à m'asseoir devant mon ordinateur et à me surpasser.
Quels sont vos principaux projets ?
Corbeyran : Ils sont nombreux. L'univers des Stryges a occupé et occupe encore une bonne partie de mon temps. Toujours chez Delcourt, je prépare actuellement un volumineux projet dont je ne peux hélas rien dire pour le moment, à part que sa scénarisation est très excitante. Par ailleurs, je continue ma collaboration avec Jean-Claude Bartoll sur les attentats du 11-Septembre chez 12bis, et j'ai en préparation aussi quelques beaux albums chez Soleil et Soleil Celtic. Je poursuis la série Metronom' avec Grun, et je prépare avec Espé, pour Glénat, une vaste saga familiale qui se situe de nos jours, dans le milieu du vin de Bordeaux...
Interview réalisée par Bodoï (2011)
Propos recueillis par Laurence Le Saux.