Interview de Corbeyran (Sud Ouest - 2013)
Tous les quinze jours, « Sud Ouest » vous emmène visiter le bureau d'une personnalité de Bordeaux ou de l'agglomération. Elle nous y raconte sa vie quotidienne, les objets qui l'entourent, leur importance et leur histoire. Aujourd'hui, Éric Corbeyran, prolifique scénariste de bande dessinée. C'est dans son atelier des Chartrons qu'il a imaginé sa dernière production, « Châteaux Bordeaux ».
Le scénariste est dans sa bulle
Les passants dans la rue peuvent vous voir dans votre atelier. Ce n'est pas gênant pour créer ?
Au contraire, c'est ce que je recherchais. J'ai acheté ce local en septembre 2009. Pendant des années, j'ai travaillé chez moi, dans une cave éclairée à l'électricité, ça me rendait neurasthénique. Et puis, quand on travaille chez soi, on finit par confondre son boulot et sa vie privée. Ici, c'est seulement mon atelier. Les gens regardent, certains entrent pour parler cinq minutes. J'aime beaucoup ça, et ça ne me déconcentre absolument pas. Pas plus que le bruit de la rue et des voitures.
Donc, vous avez des horaires de bureau depuis que vous êtes ici ?
J'arrive le matin vers 8 heures et je consulte mes mails. Et puis, je me mets à l'écriture. Toujours en musique. Très forte. Soit des musiques de film, soit du metal. Ça me stimule. En revanche, si je lis dans l'autre pièce, au fond de l'atelier, où j'ai toute ma documentation, notamment celle sur le vin qui m'a servie pour « Châteaux Bordeaux » et mon héroïne Alexandra Baudricourt, je coupe la musique et je travaille dans le silence.
À midi, je déjeune chez moi puisque j'habite à dix minutes à pied, ou je vais dans un restaurant du quartier. Vers 18 heures, j'ai moins la pêche alors je tire le rideau et je rentre. Je joue de la guitare ou, avec ma femme, on se gave de séries télé américaines. Je suis fan depuis toujours et elles influencent beaucoup mon travail.
Vous recevez dans votre atelier ?
Comme je vous l'ai dit, il y a un peu de passage mais je suis seul la plupart du temps et j'apprécie la solitude. Il m'arrive aussi de recevoir le dessinateur avec lequel je travaille sur un projet et on échange nos idées. Et puis, c'est aussi moi qui sors de mon atelier. Pour « Châteaux Bordeaux », être au coeur des Chartrons m'a évidemment beaucoup aidé pour aller rencontrer des professionnels du vin. J'ai énormément appris. Et depuis, je fais creuser une cave chez moi.
Il y a une importante documentation au fond de votre atelier. Essentiel pour un scénariste ?
Pour le vin, en tout cas. Il faut être précis et ne pas écrire n'importe quoi. La plupart de mes scénarios ont trait à la science-fiction ou au fantastique parce que c'est mon univers de toujours. Dans ma tête, j'ai 12 ans, j'adore les monstres et les femmes armées. Si Jacques Glénat ne m'avait pas fait confiance, jamais je ne me serais lancé dans la saga « Châteaux Bordeaux ». Donc, il fallait que je connaisse le vin et ceux qui le font pour être crédible. L'autre avantage de cette série, plus réaliste que ce que je fais d'habitude, est qu'elle m'a ouvert à un autre public. Je suis un scénariste populaire et j'en suis très fier.
Près de votre ordinateur, cette sculpture du Stryge.
J'y suis très attaché. D'abord parce qu'elle est magnifique et qu'elle n'existe qu'en 12 exemplaires. Et puis, c'est avec la série « Le Chant des Stryges » que je me suis fait connaître et que j'ai connu mon premier succès de scénariste. C'est pour le tome 2 de la série que j'ai d'ailleurs obtenu mon premier prix du meilleur scénario, dans un festival près de Lyon. Depuis, j'en ai reçu une vingtaine d'autres. Je ne fais pas le faux modeste, ça fait plaisir même si je ne cours pas après les récompenses et même si je ne fais pas vraiment partie du milieu BD.
Vous avez gardé votre première machine à écrire. Fétichiste ?
Un peu mais c'est surtout sentimental. C'est avec elle que j'ai écrit mes tout premiers scénarios, comme « Les Griffes du marais ». Je vivais à Poitiers à l'époque, j'étais fauché et c'est ma compagne qui m'avait avancé l'argent pour l'acheter. Mon bureau, c'était une porte en aggloméré posée sur deux tréteaux et pour ne pas faire trop de bruit la nuit quand je travaillais, je posais la machine à écrire sur un torchon plié. C'est loin mais je me souviens toujours d'où je viens.
Interview réalisée par Sud Ouest (2013)
Propos recueillis par Benoît Lasserre.